Le légataire mis en possession du bien par le testateur doit demander la délivrance du legs
Les faits
Une femme décède le 3 juillet 2010 en laissant pour lui succéder deux fils. Moins d’un mois plus tôt, le 4 juin 2010, la défunte avait fait un testament authentique par lequel elle avait institué une femme légataire à titre particulier d’un appartement et d’un local commercial dont elle était propriétaire. Avant le décès de la testatrice, cette personne avait été mise en possession du bien légué et, lorsqu’intervient le décès, la légataire se maintient dans les lieux.
S’élève alors un conflit opposant les héritiers à la légataire. Les héritiers réservataires contestent le droit de la légataire alléguant que celle-ci n’avait jamais fait de demande de délivrance de son legs. Ce faisant, ils demandent que soit constatée la prescription de l’action en délivrance du legs et requièrent également que la légataire soit condamnée à une indemnité d’occupation à compter de la date du décès pour le bien qu’elle occupe. Ils réfutent aussi le droit aux loyers qu’elle réclamait sur le second bien. À l’inverse, la légataire invoque qu’elle avait été mise en possession dudit bien du vivant de la testatrice et qu’à ce titre elle n’était pas tenue de faire une demande de délivrance pour bénéficier de la pleine jouissance du bien.
La cour d’appel déboute les héritiers de toutes leurs prétentions. Les juges du fond écartent la demande de reconnaissance de la prestation estimant que le légataire mis en possession du bien légué par le testateur avant son décès et qui se maintient en possession après le décès n’est pas tenu de faire une demande de délivrance pour bénéficier de la pleine jouissance du bien. Les héritiers forment alors un pourvoi afin de demander à la Cour de cassation de se prononcer sur la prescription de la demande de délivrance du legs et ses conséquences.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par les juges du fond sur le visa des articles 1014 et 2219 du Code civil. Elle affirme tout d’abord qu’il résulte de l’article 1014 du Code civil que, si le légataire particulier devient, dès l’ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu’il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès.
Elle rappelle ensuite que le légataire ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu’à compter du jour de la demande en délivrance. Or, celle-ci étant éteinte par l’effet de la prescription, en application de l’article 2219 du Code civil, la légataire ne pouvait plus se prévaloir de son legs, ni percevoir les fruits de la chose léguée. En l’espèce, la demande n’a été formulée qu’à l’occasion de la procédure judiciaire, soit le 29 septembre 2017, date de ses conclusions et plus de sept années après le décès. Pour rappel, l’action en délivrance de legs se prescrit au terme d’un délai de cinq ans à compter du décès (Code civil, art. 2224).
À noter
Tout légataire acquiert, comme tout héritier, ses droits dès le décès du de cujus : c’est le principe de la transmission immédiate des droits du de cujus à ses successeurs, qui deviennent ainsi propriétaires des biens qui leur sont dévolus. Toutefois, pour pouvoir exercer les droits conférés par le défunt, le légataire doit demander la délivrance de son legs. La délivrance de legs est une formalité qui a pour effet de faire acquérir au légataire la qualité de successeur saisi, qui lui vaut reconnaissance de ses droits : c’est une reconnaissance des droits du légataire qui en conditionne l’exercice (Cass. 1e civ. 28-1-1997 n° 95-13.835). Tout légataire non saisi doit y procéder (C. civ. art. 1011 et 1014). La demande de délivrance des legs doit être adressée aux héritiers réservataires, à défaut, aux légataires universels et, à défaut, aux héritiers légaux (C. civ. art. 1011). S’il est titulaire de droits privatifs, le légataire particulier obtiendra ainsi la remise du bien légué. Outre l’entrée en possession, le légataire acquiert les fruits et intérêts des biens légués, ainsi que le droit d’exercer les actions relatives aux biens légués. En principe, le légataire particulier n’a droit aux fruits et intérêts des biens légués qu’à compter du jour de la demande en délivrance ou du jour où la délivrance lui a été volontairement consentie (C. civ. art. 1014, al. 2). Si la délivrance amiable lui est refusée par l’héritier saisi, le légataire doit saisir le tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession afin de demander une délivrance judiciaire de son legs.
Le fait que le légataire ait été mis en possession du bien légué par le testateur de son vivant – en l’espèce, la légataire occupait l’appartement légué depuis plusieurs années au décès de la testatrice – est sans incidence sur la nécessité de procéder à la demande de délivrance. Autrement dit, la délivrance ne saurait être accordée par le testateur lui-même. Il aurait pu en être autrement si la légataire était entrée en possession de l’appartement légué après le décès de la testatrice au vu et au su des héritiers et sans opposition de leur part. En effet, aucune forme n’étant imposée pour demander la délivrance, il est admis en jurisprudence qu’elle puisse être tacite (pour un cas de mise en possession du légataire sans opposition des héritiers : Cass. 1e civ. 18-11-1968).
Par ailleurs, dans le présent arrêt, la légataire faisait valoir que la prescription de la demande de délivrance de son legs n’avait pas couru pendant la contestation de la validité du testament portée au préalable par les héritiers légaux devant les tribunaux. Or l’action en nullité du testament exercée par l’héritier légal n’a pas d’effet suspensif de la prescription de la demande en délivrance (Cass. 1e civ. 30-9-2020 no 19-11.543). En conséquence, l’action en délivrance de legs doit être engagée dans le délai légal, qui est le délai de prescription quinquennal de l’article 2224 du Code civil, institué par la loi 2008-561 du 17 juin 2008, dont le point de départ est le décès du testateur.
Cass. 1e civ. 21-6-2023 n° 21-20.396 FS-B
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